[ nouveautés ¶ littératures ¶ essais ¶ catalogue ¶ à propos ] |
« Au début de l'année 1836, l'échafaud eut de splendides étrennes dans la double exécution de Lacenaire & d'Avril. C'est au premier de ces deux criminels surtout, qu'il faudrait appliquer cette épithète de lion du crime (...). Jamais, en effet, assassin n'avait si fortement captivé l'opinion publique, jamais meurtrier, dans cette voie qui conduit de la prison à la salle d'assises & à l'échafaud, n'avait été suivi de regards plus curieux & plus enthousiastes, j'allais presque dire fêté de pareilles ovations. Je ne redirai pas les crimes de Lacenaire & de son complice, on les connaît. Le vol pour but, l'assassinat pour moyen, tel avait été le système que s'était tracé un des hommes qui se soit le plus audacieusement mis en guerre avec la société. Ce système, Lacenaire voulut le mettre largement à exécution en ne frappant que de grands coups. L'assassinat & le vol d'un garçon de banque chargé d'une riche recette, telle est la chimère qu'il poursuivit avec une ténacité incroyable. Le Ciel ne permet point la réussite de si coupables spéculations. Plusieurs tentatives, répétées sans succès, n'aboutirent qu'à faire tomber les complices de Lacenaire, & bientôt lui-même dans les mains de la justice. (...) Nous attendions Lacenaire dans l'avant-greffe, où l'on devait procéder à la toilette des condamnés. Il s'y présenta, le cigare à la bouche, avec une assurance qui n'était pas exempte d'affectation. Lorsqu'il se fut assis sur le tabouret, il adressa la parole avec aisance aux quelques personnes qui se trouvaient là. Un des aides lui coupa les cheveux, il se laissa faire, & quand ce fut fini, il ne reprit la parole que pour demander le même vêtement qu'il portait à la cour d'assises. On s'empressa de le lui donner : c'était une redingote qu'il jeta en manteau sur ses épaules. Après, ce fut le tour d'Avril. Ce dernier ne fit point parade de son assurance comme Lacenaire, mais il montra un sang-froid non moins extraordinaire. Le jour commençait seulement à poindre, & comme on était au mois de janvier, époque où les matinées sont toujours très froides, Avril ne put réprimer quelques frissons. Alors parodiant, sans le savoir, le mot célèbre de Bailly : - Diable ! dit-il, je tremble de froid. On est capable de croire que j'ai eu peur. Il demanda un petit verre d'eau-de-vie pour se réchauffer, un gardien le lui apporta. - Merci, mon vieux, dit-il. Et il avala le breuvage d'un trait en faisant claquer sa langue. Lorsqu'on lui eut attaché les pieds & les mains, comme à Lacenaire, il prit congé des personnes présentes par ces mots prononcés avec l'accent d'une grave bonhomie : - Adieu tout le monde. On partit ; le trajet fut long, car les chemins étaient très mauvais. M. l'abbé Montès en profita pour faire de derniers & suprêmes efforts afin de toucher l'âme rebelle de Lacenaire. Tout se brisa contre la glace de ce scepticisme réel ou affecté. Il était près de huit heures & demie du matin lorsque nous arrivâmes. Les condamnés descendirent d'abord, les confesseurs & nous ensuite. Avril, qui devait être exécuté le premier, embrassa le digne prêtre qui l'assistait, puis il monta d'un pas ferme les marches de l'échafaud. Rendu sur la plate-forme, il se retourna vers Lacenaire & cria d'une voix forte & assurée : - Adieu Lacenaire ! adieu, mon camarade. Un imperceptible sourire glissa sur la face pâle de ce dernier, qui avança la tête pour voir tomber celle du malheureux qu'il avait perdu. Le bruit de la chute du couteau ne le fit même pas tressaillir. Il gravit à son tour les degrés qui le conduisaient à la mort, sans l'aide de personne, & promena un long regard sur la foule, qu'il s'attendait peut-être à trouver plus nombreuse. Nous crûmes qu'il allait parler, mais il vint lui-même se placer sur la planche fatale, toute dégouttante du sang d'Avril. Le mouvement de bascule s'opéra, je donnai le signal. Mon cœur se serra dans ma poitrine. Je n'avais pas entendu tomber le couperet ; je me retournai avec effroi & j'aperçus un de mes aides replaçant une vis qui s'était détachée.
Il y eut donc un temps d'arrêt de dix-sept secondes, dix-sept siècles pour moi. Mes yeux se portèrent de suite sur le patient : je le vis cherchant, sans bouger de place, à tourner obliquement la tête dans la lunette pour élever, jusqu'au sommet de la rainure, un regard dans lequel se lisait plus de surprise que d'effroi. Enfin, par un mouvement énergique de l'aide Piot, qui faisait l'exécution, le triangle homicide se détacha de tout son poids & mit fin à cette horrible scène. Voilà la vérité sur la mort de Lacenaire. » (Henri-Clément Sanson, Sept générations d'exécuteurs, 1688-1847. Mémoires des Sanson, 1862-1863) |
1800 Naissance de Pierre-François Lacenaire, fils d'honorables commerçants établis à Francheville près de Lyon 1817 Lacenaire quitte le petit séminaire d'Alix après y avoir obtenu de brillants résultats 1818 Vidocq crée & dirige la brigade de Sûreté
1828-1829 Lacenaire s'engage dans l'armée, déserte, commet son premier larcin Première condamnation pour vol. Il purge sa peine à la prison de Poissy Création des sergents de ville (1829) 1833 Deuxième condamnation
1834 Assassinat de la veuve & du fils Chardon. Tentative de meurtre sur la personne de Genevey. Vif émoi dans l'opinion 1835 Louis Canler, futur chef de la Sûreté, mène l'enquête. Arrestation & procès de Lacenaire & de son complice Avril
9 janvier 1836 Mort sur l'échafaud d'Avril & de Lacenaire à la barrière d'Arcueil « J'arrive à la mort par une mauvaise route, j'y monte par un escalier… » 1862 Mémoires de Canler 1945 Lacenaire est immortalisé à l'écran par Marcel Herrand dans Les Enfants du Paradis de Marcel Carné & Jacques Prévert
Nombre de signes 362 000 Folio 156 pages Temps d'impression 32 minutes Taille du fichier PDF 920 Ko ISBN - Prix 2-84824-018-0 |
[ nouveautés ¶ littératures ¶ essais ¶ catalogue ¶ à propos ] |