Roman épistolaire & première œuvre d'importance d'un écrivain alors âgé de vingt-cinq ans, Les Lettres de la Marquise de M*** au Comte de R*** (1732) retracent l'histoire d'une liaison, de ses balbutiements à sa fin tragique.

« Je ne veux pas aimer », proclame la Marquise de M*** dans sa première lettre, comme si cette affirmation devait définitivement la mettre à l'abri de l'amour & de ses tourments.

Les soixante-neuf lettres qui suivent, toutes de sa main, diront exactement le contraire, mettant en scène avec une étonnante précision tous les états contradictoires que connaît une âme amoureuse : « Brouilleries, raccommodements, caprices, fureurs, larmes, joie, jalousie, crainte, désirs, désespoir ; & quoique ces mouvements soient variés en eux-mêmes, c'est toujours l'amour qui les fait naître, c'est l'amour qui les détruit… » (lettre d'introduction)

Mariée contre son gré à un homme qu'elle finit par aimer avant de s'apercevoir qu'il la trompe, la Marquise, en manque d'amour véritable, est prête, sans le savoir, à aimer quiconque lui semblera sincère.

Consciente de la folie amoureuse qui peu à peu la gagne, elle ne fera rien pour la contrecarrer, mettant tout son talent à analyser elle-même le chaos permanent qu'est devenue son existence.

De cette correspondance, l'auteur nous donne uniquement à lire les lettres de la femme ; à nous, dès lors, de reconstituer la part manquante du drame, d'imaginer les mots & les actes de l'Autre. Tentative qui souvent tourne court, car l'homme aimé disparaît parfois de lui-même, vampirisé par la passion dévorante qu'il inspire à la Marquise de M***, unique sujet réel du livre.

D'ailleurs, est-ce un homme qu'elle aime, ou l'idée d'un amour idéal qui, s'étant porté sur un être humain, ne peut que se dérober sans cesse à son désir ?

Loin des Liaisons dangereuses, le roman de Crébillon fils rejoint le lamento désespéré de la Religieuse portugaise. En effet, il ne s'agit pas ici de l'amour-passade, de l'amour-jeu chanté plus tard par le même Crébillon fils dans Les Égarements du cœur & de l'esprit ; non, ce qui nous est donné à lire, c'est le journal d'un amour fou, absolu, où l'être se perd (& non s'égare) corps & âme, & qui ne peut trouver d'issue que dans la mort elle-même.

Personnage emblématique de l'amour total, la Marquise de M*** (une initiale trop parlante pour être anodine !) l'est aussi d'une époque où les lois du monde n'accordent pas les mêmes droits aux hommes & aux femmes : aux premiers les plaisirs faciles du libertinage ; aux secondes les tourments incessants d'une âme exigeante.

« Et comment se fait-il qu'ayant si peu à écrire, on remplisse tant de papier ? » (lettre XLIX), s'interroge la lucide Marquise, consumant sur le papier les mille mouvements de sa passion insatisfaite.

Les subtilités du style de Crébillon fils portent très haut cet art épistolaire & au-delà du plaisir parfois étourdissant que cette langue procure, l'émotion véritable surgit, comme si l'artifice de l'écriture ne faisait qu'en renforcer la véracité.

1707

Naissance de Crébillon fils

1731-1732

Crébillon père rentre à l'Académie française. Parutions de Manon Lescaut de l'abbé Prévost & des Lettres de la marquise de M*** au Comte de R*** de Crébillon fils

Quatre années plus tard (1736), il livre Les Égarements du cœur & de l'esprit

1742

Crébillon fils termine Le Sopha

1747

Samuel Richardson, Clarisse Harlove

1755

La Nuit & le moment de Crébillon fils est édité à Londres

1771-1772

Parutions des Sacrifices de l'amour & des Malheurs de l'inconstance de Claude-Joseph Dorat

1777

Publication de Point de lendemain de Vivant Denon (première édition)

Décès à Paris de Crébillon fils

Nombre de signes

309 000

Folio

196 pages

Temps d'impression

40 minutes

Taille du fichier PDF

870 Ko

ISBN - Prix

2-84824-009-1
Gratuit