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Edmond de Goncourt l'affirme dans sa préface de La Fille Élisa : il ne s'agit pas de faire des livres dans le but de susciter « l'amusement des jeunes demoiselles en chemin de fer », il s'agit pour « la jeune & sérieuse école du roman moderne » de décrire &, éventuellement, de dénoncer.
En 1877, paraît L'Assommoir de Zola, le même qui proclamait haut & fort onze ans plus tôt, dans Mes haines, son admiration pour les Goncourt, comme pour la peinture de Courbet. Et le 16 avril 1877, autour d'une table, chez Trapp, le précurseur Flaubert, Edmond le survivant & Zola l'héritier, quelques autres aussi qui participeront aux Soirées de Médan, donnent le nom de « naturalisme » à cette jeune & sérieuse école dont le calvaire de la Fille Élisa apparaît comme une manière de manifeste. Le début de l'histoire ressemble à une plaidoirie : une enfance malheureuse, sans morale... Élisa est la fille d'une sage-femme, faiseuse d'anges à ses heures. Elle grandit dans la promiscuité & la familiarité du sexe mercenaire. La gamine est bernoque, selon sa mère, c'est-à-dire impulsive, soupe au lait, butée, inaccessible aux remontrances ; elle court les barrières & fréquente trop les garçons. Jusqu'au jour où elle fait sa valise. Sans vraiment savoir où elle va, elle convainc une femme qui vient chaque année de Haute-Marne se faire saigner chez sa mère, de l'emmener, en secret... & se retrouve pensionnaire d'un bordel familial où ses talents & son aura de Parisienne font merveille. Élisa s'est « faite prostituée, simplement, naturellement, presque sans un soulèvement de la conscience », mais sans « ardeur lubrique (...), appétit de débauche ni effervescence des sens » non plus. Madame & Monsieur sont gentils & Élisa pourrait couler, tranquille, entre les murs de cette Maison Tellier sans histoires, le reste de son âge. C'est la révolution grecque qui la perdra : la bibliothèque de l'endroit regorge de romans pleins d'« Orient baroque », de « palicares héroïques », de « captives grecques résistant à des pachas violateurs ». « Tout le faux chevaleresque, tout le faux amoureux » bouleverse sa cervelle. Elle croit aimer : pour un vaurien, elle abandonne le cocon de son claque de province...
Les lupanars succèdent aux boxons ; toujours bernoque, Élisa est incapable de se fixer ; « l'ébranlement perpétuel du système nerveux par le plaisir » n'arrange rien ; & puis elle commence à vieillir : « distension de la fibre (...) & mollasserie des chairs ». Elle échoue non loin de l'École militaire dans un « pandémonium » à soldats, qu'elle préfère tout de suite « à la tranquillité épicière (...) des établissements affectés aux pékins ». L'amour d'un fantassin. De brusques accès de dégoût du corps des hommes. Je t'aime : je te tue ; le tribunal, le verdict & la grâce. Le train pénitentiaire. L'écriture devient sèche, sans fioritures. Les chapitres s'enchaînent, si courts parfois, aussi étincelants & tranchants que le couperet d'une guillotine. La gare de Noirlieu : une nouvelle vie commence pour la Fille Élisa ; une vie de morte. L'important, nous avertit dès sa préface Edmond de Goncourt, est de stigmatiser ce régime carcéral pire que « le fouet sur les épaules nues de la femme », ce régime qui outrepasse « la peine édictée par les magistrats [en] tuant pour toujours la raison ». Le régime « d'amendement par le silence » mis au point dans la prison américaine d'Auburn. L'univers dans lequel on ensevelit la bernoque Élisa est implacable. Un petit directeur volubile, méridional, soucieux comme personne de la santé physique de ses détenues. Tortionnaire en toute bonne conscience. Un aumônier bon vivant & sans une once de compassion. Une escouade de nonnes délatrices, obéissant à une supérieure hors d'âge qu'a désertée depuis longtemps toute illusion - ou toute humanité. Des cohortes de femmes en sabots, éternellement muettes, jusqu'à la cordonnerie où l'on regroupe celles dont le « silence continu » a fait des « toquées ». À partir de quel point la cruauté du châtiment fait-elle du criminel une victime ? Lorsque Edmond visite la prison de Noirlieu, c'est une Élisa christique qu'il aperçoit dans un lit de l'infirmerie. Comme le crucifié au terme de sa passion, elle pourrait murmurer alors que tout est accompli... si seulement elle en avait le droit. |
1656 Louis XIV fonde l'Hôpital général où sont internés malades, vieillards & orphelins 27 septembre 1748 Par ordonnance royale, la peine des travaux forcés dans les arsenaux (Brest, Rochefort, Toulon) se substitue à la peine des galères 1764 Publication à Livourne Dei Delitti e elle pene (« Des délits & des peines ») par Cesare Beccaria 1775 Dans son essai State of the Prisons, John Howard développe le principe de l'isolement du détenu 1787 Selon les idées de Jeremy Bentham, les cellules de la prison doivent être disposées autour d'une tour centrale d'observation 26 août 1789 Déclaration des droits de l'homme & du citoyen 6 octobre 1791 Premier Code pénal. 1803 Ouverture en France des premières maisons centrales : Belle-Île, Clairvaux, Loos-lez-Lille... 1822 Construction du pénitencier de Cherry Hill (Philadelphie). Mise en application d'un régime d'isolement cellullaire diurne & nocturne 1825 La prison d'Auburn (État de New York) est construite après 9 ans de travaux. Mise en application du régime « auburnien » associant dans un « silence continu » travail collectif le jour dans des ateliers sous la menace du fouet & isolement en cellule la nuit 1835 Alexis de Tocqueville publie chez Gosselin le premier volume de son essai De la démocratie en Amérique Vers 1852 La France compte environ 15 000 cellules Loi du 30 mai 1854 Instauration du régime de la transportation pour les auteurs de crimes condamnés à la peine des travaux forcés ; création de pénitenciers en Guyane & en Nouvelle-Calédonie 11 mai 1857 Décès de Vidocq à Paris 1867 Vaudemer réalise la prison de la Santé à Paris Loi du 5 juin 1875 Les détenus, prévenus & condamnés, doivent être séparés de jour comme de nuit, enfermés seuls & en silence ; ils sont tenus de porter la cagoule dans tous leurs déplacements 1876 Huysmans publie à Bruxelles chez Félix Callewaert Marthe, histoire d'une fille Loi du 27 mai 1885 Création de la peine de la relégation envers les récidivistes ; des milliers de condamnés sont envoyés sans distinction de peine en Guyane 17 juin 1938 Suppression de la transportation pour les condamnés aux travaux forcés. De 1854 à 1938, près de 100 000 condamnés (dont environ 2 000 femmes) connaissent l'enfer des bagnes de la République 1945 Abolition de la peine des travaux forcés 1967 Première prison d'Europe par sa capacité, l'établissement de Fleury-Mérogis compte près de 4 000 détenus 1975 Création des QHS Septembre 1977 Hamida Djandoubi est exécuté à la prison des Baumettes 18 & 30 septembre 1981-1985 Sous l'impulsion du garde des Sceaux, Robert Badinter, députés & sénateurs votent la suppression de la peine de mort Le régime carcéral est assoupli (possibilité de télévision dans la cellule, parloir aménagé sans séparation, suppression du costume pénal - 1983) 1987 Suppression pour les détenus du travail obligatoire
Nombre de signes 220 000 Folio 157 pages Temps d'impression 32 minutes Taille du fichier PDF 900 Ko ISBN - Prix 2-84824-035-0 |
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