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Curé d'Embermesnil en Lorraine, province qui comptait une communauté israélite importante, Henri Grégoire fut d'autant plus sensible au sort des juifs qu'il avait eu l'occasion de les côtoyer & de nouer des liens d'amitié avec eux. Son Essai sur la régénération physique, morale & politique des Juifs repose sur une double argumentation : rationnelle, d'une part, en démontrant l'absurdité d'une discrimination fondée sur des préjugés & contraire à l'utilité sociale ; religieuse, d'autre part, en insistant - fait assez rare pour un ecclésiastique de la seconde moitié du XVIIIe siècle - sur l'humanisme & la tolérance qui imprègnent le message du Christ.
Toutefois, cette tolérance n'a pas exactement le sens que nous accordons aujourd'hui à ce mot : le but ultime de l'auteur reste la conversion, même s'il ne l'exprime pas toujours nettement. Ainsi, s'interrogeant sur l'opportunité d'accorder la liberté religieuse aux juifs, il passe en revue les arguments religieux qui pourraient s'y opposer, & conclut positivement : « L'entière liberté accordée aux Juifs sera un grand pas en avant pour les réformer, & j'ose le dire, pour les convertir ; car la vérité n'est persuasive qu'autant qu'elle est douce [...] » S'il condamne les baptêmes ou les conversions forcés comme contraires à l'esprit même du christianisme, l'abbé n'exclut pas que les juifs soient tenus d'assister à des prêches réguliers en vue de les ramener dans le droit chemin (chapitre XXIII), témoignant involontairement de ce prosélytisme envahissant qui a toujours terni les relations entre juifs & chrétiens. La sympathie de ce curé des Lumières, aussi sincère soit-elle, ne saurait donc aller jusqu'à la compréhension de ceux dont il prône la « réforme ». Le seul titre du chapitre XXV illustre bien cette limite : « Considérations sur la nature & les causes des préjugés des Juifs. Remèdes à y apporter ».
Avec force, Henri Grégoire dénonce l'inanité des préjugés que les chrétiens entretiennent envers les juifs mais reste convaincu de la vérité de la seule religion chrétienne... inébranlable conviction qui lui interdit d'appréhender la foi de l'Autre. Ces propos se durcissent néanmoins lorsqu'il aborde la question de l'idiome. Le dernier paragraphe du chapitre XXIII condamne sans appel l'emploi du yiddish, « cette espèce d'argot, ce jargon tudesco-hébraïco-rabbinique », & de tous les patois, préfigurant d'ailleurs les travaux du futur conventionnel Grégoire, rapporteur du Comité d'instruction publique de la Convention : « Les gouvernements ignorent ou ne sentent pas assez combien l'anéantissement des patois importe à l'expansion des lumières, à la connaissance épurée de la religion, à l'exécution facile des lois, au bonheur national, & à la tranquillité politique. » L'essai d'Henri Grégoire déroute le lecteur contemporain : il ravit par sa tonalité émancipatrice, par sa dénonciation des préjugés, il inquiète par une certaine rigidité doctrinale qui refuse d'admettre que la vérité puisse prendre plusieurs visages, religieux... ou linguistiques. C'est que notre lecture ne peut faire abstraction de notre connaissance de l'histoire du XXe siècle. En écho à la description que fait Grégoire des persécutions & des humiliations subies par les juifs, se présente immédiatement à l'esprit le déchaînement de l'antisémitisme en Europe, aboutissant à la Shoah. De même, lorsqu'il s'interroge sur la « régénération de la nation juive » & essaie de lui dessiner un futur (écartant d'ailleurs comme illusoire toute idée de constitution d'un foyer juif), nous ne pouvons pas ne pas penser à la naissance & au développement de l'État d'Israël... Au regard de ces événements, l'ardeur & la bonne volonté du prêtre lorrain paraîtront dérisoires à certains, quand d'autres n'y verront qu'un vernis fragile, dissimulant mal le vieux fond d'antijudaïsme chrétien qui fut une des matrices de l'antisémitisme moderne. Et pourtant, Henri Grégoire fut bien l'ami des juifs comme il fut également celui des Noirs pour l'émancipation desquels il lutta énergiquement. Prêtre catholique, il siégea à la Convention en soutane violette (il y représentait le Loir-et-Cher dont il était également évêque) & voyait dans la Révolution l'accomplissement du message évangélique, associant au sein d'une même construction intellectuelle idéal républicain & convictions religieuses. Homme des Lumières, convaincu de sa mission éducatrice, il marqua de son empreinte de nombreuses institutions scientifiques. Homme de foi, il consacra la fin de sa vie à l'étude de Port-Royal. Telles sont les multiples facettes d'un esprit attachant & aujourd'hui largement méconnu, qui illustre avec éclat l'ampleur & la diversité des aspirations de son siècle. |
4 décembre 1750 Naissance à Vého, près de Lunéville. Séminaire 1774 Ordonné prêtre. Professeur au collège de Pont-à-Mousson. Nommé curé d'Embermesnil. Nombreux voyages, se passionne pour les études 1788 Essai sur la régénération physique, morale & politique des Juifs 1789 Janvier : première édition de
Qu'est-ce que le Tiers état ?
de l'abbé Sieyès. 1790 Gallican convaincu, il adhère sans réserve à la Constitution civile du clergé & est élu évêque constitutionnel de Blois 1792-1794 Député à la Convention, Henri Grégoire obtient l'abolition de l'esclavage (février 1794), se prononce contre la peine de mort & pour l'abolition de la royauté « Les rois sont dans l'ordre moral ce que sont les monstres dans l'ordre physique ; les cours sont l'atelier du crime le foyer de la corruption ; l'histoire des rois est le martyrologe des nations. » Le Conservatoire des arts & métiers (CNAM)
est créé sur proposition de l'abbé Grégoire
(1794). Membre du Conseil des Cinq-Cents, puis du Corps législatif 1801-1814 Après le 18 Brumaire, Henri Grégoire,
devenu sénateur, vote contre le Concordat, démissionne
de sa fonction d'évêque. 1819 Est élu député de l'Isère. Son passé révolutionnaire le poursuit (il est accusé à tort d'avoir voter la mort de Louis Capet) Victime d'une cabale organisée par les milieux
ultramontains & contre-révolutionnaires, son mandat est annulé
par le pouvoir qui le qualifie d'« indigne ». 1830 Mort de Benjamin Constant 28 mai 1831 Décès à Paris. 12 décembre 1989 Les cendres de l'abbé Grégoire sont transférées au Panthéon
Nombre de signes 330 000 Folio 170 pages Temps d'impression 34 minutes Taille du fichier PDF 1,3 Mo ISBN - Prix 2-84824-015-6 |
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