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« Qu'est-ce que le Tiers état ? - Tout. Qu'a-t-il été jusqu'à présent dans l'ordre politique ? - Rien. Que demande-t-il ? - À être quelque chose. » Rarement, si l'on excepte le « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ! », programme politique aura revêtu pareille concision - & connu telle fortune. Car la formule de Sieyès fait mouche &, grâce aux colporteurs, court le beau royaume de France dès janvier 1789. Drôle d'abbé ce Sieyès ! on a refusé de l'ordonner à Paris au motif qu'il n'a pas la vocation, mais on le retrouve, peu après, grand vicaire à Chartres ; un privilégié, donc, mais qui n'hésite pas à marquer contre son camp. Son Essai sur les privilèges a déjà enthousiasmé le « Parti patriote », ces bourgeois - mêlés de quelques nobles & clercs - élevés dans les Lumières, qui pensent révolu le temps des retouches au vieux système - toujours insuffisantes, toujours à contretemps. Qui veulent de réels changements.
Or, lorsque Louis XVI, acculé par la crise financière devenue impasse politique, convoque les États généraux en août 1788 - une première depuis 1614 -, ne leur donne-t-il pas raison ? Car réformateurs ou conservateurs, adeptes de la négociation ou de la manière forte, tous ses ministres ont échoué à imposer la solution que chacun connaît (faire payer l'impôt à la noblesse & au clergé) mais que les privilégiés refusent obstinément. Nouveauté ? Non, répond Sieyès dans Qu'est-ce que le Tiers état ? puisque les rois ou leurs ministres, à quelques rares moments près, n'ont jamais gouverné le pays, puisque l'« immense aristocratie (...) par ses membres atteint à tout & exerce partout ce qu'il y a d'essentiel dans toutes les parties de la chose publique. » Aussi le retour de Necker au pouvoir à l'été 1788 ne règle-t-il rien aux yeux de l'abbé : tout populaire qu'il soit, il ne pourra pas davantage que ses prédécesseurs trancher la double question essentielle : les ordres privilégiés survivraient-ils sans le Tiers ? certes non car « rien ne peut aller sans lui », agriculture, commerce ou industrie ; & le contraire ?... « tout irait infiniment mieux sans les autres ». Bien sûr, Sieyès approuve la concession obtenue du roi par le Parti patriote : le doublement du Tiers par rapport à 1614, autrement dit que ses députés soient en nombre égal à ceux des deux autres ordres. Il la juge cependant insuffisante puisque la représentation du Tiers devrait, selon lui, être proportionnelle à son poids dans la population - soit la quasi-totalité. D'autant, ajoute l'abbé, que le mode de scrutin aux États généraux n'est pas acquis : arracher le vote par tête, un homme une voix (alors que la coutume veut que chaque ordre délibère, arrête sa position & dispose ensuite d'une seule voix, ce qui assure noblesse & clergé d'une majorité automatique) est donc indispensable. Et si tel n'était pas le cas ? « Eh ! tant mieux ! », répond Sieyès, car alors le Tiers serait habilité à former seul une « Assemblée nationale »...
En attendant le royaume rentre en effervescence : partout on rédige des cahiers de doléances, on discute, on élit - le clergé récuse l'abbé, Sieyès sera député du Tiers... & puis on lit aussi : l'hiver 1788-1789 est un printemps pour les agitateurs d'idées & Qu'est-ce que le Tiers état ? est l'incontestable best-seller de cette saison-là ! L'inégal accès aux fonctions ? - y écrit Sieyès - un « crime social envers le Tiers état » ; des tribunaux & des peines différents suivant sa naissance ? une monstruosité ; l'exemption fiscale ? sans fondement, & Sieyès d'en appeler aux Romains & aux Gaulois ; l'Angleterre, un modèle ? encore faudrait-il supprimer la Chambre des lords... Mais Qu'est-ce que le Tiers état ? ne se limite pas à la critique. C'est un projet pour une nation, « corps d'associés vivant sous une loi commune », dont le prince serait le « premier citoyen ». C'est, en germe, le Serment du jeu de paume, la nuit du 4 Août, la Déclaration des droits de l'homme & la fin du droit divin au profit d'une monarchie strictement parlementaire. Et l'abbé de conclure : « Si nous manquons de constitution, il faut en faire une ; la nation seule en a le droit. » Ce dont Sieyès ne se privera pas, lui qui, député du Marais à la Convention, régicide surnommé par Robespierre « la taupe de la Révolution », au pouvoir après Thermidor & sous le Directoire, éphémère consul auprès d'un Bonaparte qu'il croit manipuler, a toujours une Constitution de rechange dans la poche - toutes si alambiquées qu'aucune ne sera expérimentée. Sic transit gloria mundi, a dû méditer l'abbé « déprétrisé » sous la Terreur ; n'empêche ! son Qu'est-ce que le Tiers état ? reste un de ces textes qui marquent définitivement l'histoire - parce qu'ils l'ont faite. |
3 mai 1748 Naissance à Fréjus d'Emmanuel Joseph Sieyès. Le jeune Sieyès est poussé par ses parents à suivre, sans grande vocation, la carrière ecclésiastique 1766 Sénac de Meilhan est nommé intendant de La Rochelle 1778 Mort de Voltaire à Paris 1787 Sieyès est nommé grand vicaire de l'évêque de Chartres. 22 février : réunion de l'assemblée des notables 1788 Henri Grégoire publie son Essai sur la régénération physique, morale & politique des Juifs 8 août : Louis XVI convoque les États généraux 16 août : crise financière... l'État suspend ses paiements 27 décembre : dans le cadre de l'organisation des futurs États généraux, le Tiers obtient au Conseil du roi le doublement de sa représentation & compte autant de députés que les deux autres ordres réunis 1789 Janvier : première édition de Qu'est-ce que le Tiers état ? Succès retentissant de la brochure Sieyès est élu député de Paris par les électeurs du Tiers aux États généraux 5 mai : ouverture des États généraux - 17 juin : le Tiers se constitue en Assemblée nationale - 20 juin : Serment du jeu de paume - 14 juillet : prise de la Bastille - 4 août : abolition du régime féodal - 26 août : Déclaration des droits de l'homme & du citoyen. Sieyès prend une part active à ces événements Novembre : les biens du clergé sont mis à la disposition de la nation 1790 12 juillet : vote de la Constitution civile du clergé 1792 Député de la Sarthe à la Convention, Sieyès siège au centre & vote la mort du roi Automne 1793-fin juillet 1794 (Terreur) Sieyès, le « grand-prêtre » selon la formule de Bonaparte, se montre discret & se « déprétise » 1794 Décès de Cesare Beccaria à Milan 1795-1798 Sieyès est membre du Comité de salut public (1795) Benjamin Constant publie De la force du gouvernement actuel (...) (1796) Sous le Directoire, Sieyès essaye en vain de faire adopter ses projets constitutionnels Est envoyé à Berlin en qualité d'ambassadeur (1798) 1799-1815 16 mai : Sieyès est élu au Directoire. Complote & prépare avec Bonaparte le coup d'État du 18 Brumaire (9 novembre). Le lendemain, Sieyès, Bonaparte & Roger Ducos sont nommés Consuls provisoires Dupé par Bonaparte qui l'écarte très vite du pouvoir, Sieyès obtient en compensation tous les honneurs & les titres sous le Consulat & l'Empire (il devient notamment président du Sénat, comte d'Empire) 1816-1830 Régicide, Sieyès est condamné à l'exil sous la Restauration ; s'installe à Bruxelles où David dresse un portrait flatteur du vieux révolutionnaire 1830-20 juin 1836 Retour en France. Décès à Paris
Nombre de signes 190 000 Folio 85 pages Temps d'impression 17 minutes Taille du fichier PDF 760 Ko ISBN - Prix 2-84824-024-5 |
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