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« En écrivant les lettres de madame de Sénanges (1) j'ai voulu prouver que l'amour & le devoir ne sont pas toujours incompatibles. Le but de celles-ci (2) est tout à fait opposé & peut-être n'est-il pas moins intéressant. Les faiblesses d'un cœur honnête attirent des malheurs, choquent des préjugés mais ne détruisent point la vertu. J'espère que cette vérité qu'on peut attaquer, qu'on peut encore mieux défendre, paraîtra sensible après la lecture de cet ouvrage. La femme qui cède est souvent plus courageuse que celle qui résiste, elle s'immole, se condamne aux craintes, aux alarmes, cache des pleurs, dévore des soupçons, risque tout & ne jouit que du bonheur de son amant. Je n'entrerai dans aucun détail, le public jugera le motif & l'exécution. J'ai suivi les principes que je me suis faits sur ce genre d'écrire. J'ai tracé des caractères, je leur ai donné des passions, j'ai eu des souvenirs & j'ai pris la plume. Nul échafaudage dans les événements, nul épisode qui interrompe l'action principale. La morale autant que je l'ai pu est fondue dans l'intérêt. C'est ainsi qu'elle persuade, étalée avec faste elle effarouche & reste sans effet. Tel se met à narrer des historiettes les unes après les autres, le tout enluminé de la couleur du jour, tel autre se jette dans la complication des incidents, s'abandonne aux fougues d'une imagination désordonnée, accumule les invraisemblances & tous deux croient avoir fait un roman. Peut-être ferai-je moins bien qu'eux, mais je ne ferai pas comme eux. Tant que la raison n'est pas contente, le cœur n'est que surpris & ses impressions sont bientôt effacées. Avant tout, j'ai tâché d'être vrai, de n'exposer que des événements possibles, d'offrir aux lecteurs un coin du grand tableau qu'ils ont tous les jours sous les yeux & de le rendre utile en couvrant l'instruction du charme de la sensibilité. On ne rejette point la leçon qui s'insinue par les larmes. Elle se fait jour & pénètre à l'insu même de l'esprit, que l'âme trompe alors, pour n'être point contredite dans ses plaisirs.
J'ai peint dans le duc cette espèce d'hommes qui ont érigé le vice en système, la frivolité en principe, qui méprisent les femmes, sont à la fois leurs délices & leur fléau, amusent leur tête, ne croient point à leur cœur, les prennent avec projet, les quittent par air & masquent leur corruption profonde d'une sorte de gaieté factice qui fait des dupes parce que la société est pleine de sots qu'on subjugue & de folles qu'on éblouit. Le marquis, dans Les Sacrifices de l'amour, n'a aucun plan, c'est un étourdi sans mœurs ; le duc raisonne, combine, agit en conséquence, il est consommé dans l'art où l'autre s'essaie. L'un est un fat inconséquent, l'autre un scélérat méthodique, les modèles ne m'ont pas manqué. Quant au style, je l'ai soigné le plus qu'il m'a été possible & j'ai tâché d'éviter quelques-uns des reproches que l'on a faits à celui des lettres de madame de Sénanges... » (Claude-Joseph Dorat, Les Malheurs de l'inconstance
(1) Cf. Les Sacrifices de l'amour ou Lettres de la vicomtesse de Senanges & du chevalier de Versenay. |
31 décembre 1734 Claude-Joseph Dorat naît à Paris ; son père, conseiller du roi & auditeur des comptes, est issu d'une petite noblesse de robe d'origine auvergnate 1736 Crébillon fils, Les Égarements du cœur & de l'esprit 1751 L'abbé Prévost traduit, avec quelques « petites réparations », Clarisse Harlove de Samuel Richardson 1757-1758 La perte, jeune, de ses parents fait choisir à Dorat la carrière des armes ; il s'engage dans la première compagnie des mousquetaires du roi. 1760 Zulica, première tragédie du chevalier-mousquetaire. La pièce est reprise en 1779, dans une nouvelle version, sous le nom de Pierre le Grand ; suivent notamment, en 1763, Théagène & Chariclée, &, en 1765, Régulus... 1770 Les Baisers, long poème précieux du petit-maître... élégamment illustrée par Eisen 1771 Les Sacrifices de l'amour, premier roman de Dorat, est publié à Paris chez Delalain ; joli succès du titre où la « belle » société parisienne se plaît à en trouver les clés... 1772 Pendant des Sacrifices, Les Malheurs de l'inconstance est édité à Paris chez Delalain. Les nombreuses éditions du volume attestent de son succès 1777 Publication de Point de lendemain de Vivant Denon (première édition) dans le Journal des dames que Dorat dirige ; Crébillon fils s'éteint à Paris 1780 Ruiné, vivant dans la misère malgré l'aide financière de Beaumarchais, Dorat tire sa révérence à l'âge de 46 ans. « De nos papillons enchanteurs 1782 Laclos publie Les Liaisons dangereuses : 10 ans après Les Malheurs de l'inconstance & la marquise d'Ercy, Merteuil & Valmont conquièrent la société parisienne, le roman libertin trouve son apothéose...
Nombre de signes 770 000 Folio 548 pages Taille du fichier PDF 2,4 Mo ISBN - Prix 2-84824-074-1 |
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