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Conscient des impasses du genre romanesque hérité de Balzac & de Zola, Octave Mirbeau (1848-1917) a tenté de le renouveler pour le sortir des ornières du réalisme & du naturalisme. Il a ainsi participé à l'histoire du roman, en frayant des voies nouvelles, & en contribuant à la mise à mort & au dépassement du roman du XIXe siècle, dont il conteste les présupposés, qui sont à ses yeux autant d'illusions naïves : l'idée qu'il existe une réalité objective, indépendante de l'observateur ; l'idée que cette réalité est régie par des lois intelligibles & obéit à une finalité qui lui donne sa cohérence ; l'idée que le langage est un outil bien adapté, permettant d'exprimer cette réalité & de la rendre sensible. Après avoir rédigé comme « nègre » des romans qu'il n'a pas signés & qui sont des récits-tragédies (1), rigoureusement composés selon un implacable mécanisme d'horlogerie, où le fatum prend la forme des déterminismes socio-culturels, il a délibérément opté pour des romans subjectifs, rédigés à la première personne, & qui prennent des libertés croissantes avec les conventions romanesques de la vraisemblance, de la crédibilité, de la bienséance & du « réalisme ». Octave Mirbeau a d'abord publié trois romans souvent qualifiés d'autobiographiques - Le Calvaire (1886), L'Abbé Jules (1888) & Sébastien Roch (1890) -, où il met à profit ses propres souvenirs d'enfance & de maturité & dont l'action est située dans des lieux qu'il connaît bien, le Perche & la Bretagne. Les récits sont discontinus, voire lacunaires, les événements sont toujours réfractés par une conscience (impressionnisme littéraire), l'atmosphère, souvent pesante, voire morbide, prend parfois une allure cauchemardesque ou fantastique, &, à l'instar de Dostoïevski, dont il vient d'avoir la « révélation », Mirbeau met en œuvre une psychologie des profondeurs, qui préserve le mystère des êtres. Il franchit un nouveau pas dans la déconstruction du roman avec ses quatre œuvres narratives suivantes : Dans le ciel (1892-1893), non publié en volume du vivant de Mirbeau : roman « en abyme », qui traite de la tragédie de l'artiste (inspiré de Van Gogh) & qui présente du tragique de l'humaine condition une vision pré-existentialiste ; Le Jardin des supplices (1899), qui résulte du mixage désinvolte d'articles sur « la loi du meurtre » & de deux récits parus indépendamment dans la presse, & qui est un roman initiatique, doublé d'une parabole de la condition humaine, d'une dénonciation du colonialisme & d'une démystification de la vie politique française, où le sinistre côtoie le grotesque, & la caricature à la Daumier le grand-guignol à la Sade ; Le Journal d'une femme de chambre (1900), inventaire nauséeux des pourritures des classes dominantes vues à travers le regard d'une chambrière qui ne s'en laisse pas conter ; & Les 21 jours d'un neurasthénique (1901), collage d'une cinquantaine de contes cruels parus dans la presse entre 1887 & 1901, & imprégnés d'un pessimisme noir. Mirbeau y met à mal les conventions du roman balzacien : refus de la composition, refus de l'« objectivité » & de toute prétention au « réalisme » ; mépris pour la « vraisemblance » (à laquelle Mirbeau oppose le vrai) ; refus de l'achèvement ; & volonté constante de déconcerter les lecteurs pour mieux éveiller leur sens critique. À l'univers ordonné, cohérent, du roman balzacien, où tout est clair, & où tout semble avoir un sens & une finalité, Mirbeau substitue un univers discontinu, incohérent, aberrant & monstrueux. La contingence du récit, où éclate l'arbitraire du romancier-démiurge, reflète la contingence d'un monde absurde, où rien ne rime à rien. Dans ses deux récits ultimes, La 628-E8 (1907) & Dingo (1913), Mirbeau renonce aux subterfuges des personnages romanesques & se met lui-même en scène en tant qu'écrivain (il inaugure l'autofiction). Il choisit pour héros, non plus des hommes, mais sa propre voiture (la fameuse 628-E8) & son chien (Dingo). Il renonce à toute trame romanesque & à toute composition, & obéit seulement à sa fantaisie. Enfin, sans le moindre souci de « réalisme », il multiplie les caricatures, les effets de grossissement & les « hénaurmités » pour mieux nous ouvrir les yeux. Ce faisant, par-dessus le roman codifié du XIXe siècle à prétentions réalistes, Mirbeau renoue avec la totale liberté des romanciers du passé, de Rabelais à Sterne, de Cervantes à Diderot & annonce ceux du XXe siècle.
Les images qui illustrent cette page sont extraites des Cahiers Octave Mirbeau, dont la Société Octave Mirbeau assure avec grands soins la publication chaque année. Société Octave
Mirbeau
Cette édition & cette présentation n'auraient pu voir le jour sans l'indispensable & amicale participation de M. Pierre Michel ; qu'il en soit ici très chaleureusement remercié.
Une édition numérique réunissant les dix romans d'Octave Mirbeau (Le Calvaire, L'Abbé Jules, Sébastien Roch, Dans le ciel, Le Jardin des supplices, Le Journal d'une femme de chambre, Les 21 jours d'un neurasthénique, La 628-E8, Dingo, Un gentilhomme) en un seul fichier PDF (environ 12 Mo, près de 2 690 pages...) est disponible en libre téléchargement. Compte tenu des caractéristiques de cet ouvrage, une connexion internet haut débit (ADSL, câble...) est nécessaire afin de télécharger le fichier PDF dans de bonnes conditions.
(1) Il s'agit notamment de L'Écuyère, La Maréchale, La Belle Madame Le Vassart, Dans la vieille rue & La Duchesse Ghislaine [retour]. |
Le Calvaire (1886) Nombre de signes : L'Abbé Jules (1888) Nombre de signes : Sébastien Roch (1890) Nombre de signes : Dans le ciel Nombre de signes : Le Jardin des supplices (1899) Nombre de signes : Le Journal d'une femme de chambre (1900) Nombre de signes : Les 21 jours d'un neurasthénique (1901) Nombre de signes : La 628-E8 (1907) Nombre de signes : Dingo (1913) Nombre de signes : Un gentilhomme Nombre de signes : |
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