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Gabriel Sénac de Meilhan

Frise bouchère

L'homme est monarchiste, mais il est aussi le produit des Lumières. Admirateur de Montesquieu & de Voltaire, il est mû par la volonté de comprendre. Il saisit les conséquences d'une laïcisation de la pensée - « le règne des idées religieuses est passé, celui de la liberté paraît » - sur l'art de gouverner : le droit divin était une mystique alors qu'une « vérité froide, une sèche démonstration ne feront jamais (…) des sujets fidèles ».

Et s'il appartient à la noblesse, il est aussi un « homme nouveau » : le père fut anobli par sa fonction de premier médecin de Louis XV. Protégé par Choiseul, le fils devient à 27 ans un de ces intendants, administrateurs des provinces, commis (on les appelle commissaires) & révoqués par le roi, qui ont été l'instrument du pouvoir royal face à la noblesse de robe des officiers (propriétaires de leur office) des Parlements comme face aux grands féodaux, toujours prêts à fronder. Intendant général de la guerre à 39 ans, il se voit déjà dans la peau du grand ministre réformateur dont la monarchie a besoin.

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Las ! Louis XVI lui préfère Necker, « plus fatal à la France que Cromwell à l'Angleterre (…), administrateur des finances sans capacité, comme sans doctrine (…), plus amoureux d'applaudissements qu'épris d'une véritable gloire, vacillant dans ses opinions, incertain dans sa marche ». Sénac a la dent dure ; d'autres en font les frais : Maurepas qui, en 1774, a négligé de « profiter d'une révolution faite » en rétablissant des Parlements réduits à l'impuissance par Maupéou trois ans plus tôt, Loménie de Brienne, au pouvoir en 1787-1788, « sans caractère, sans ressource pour imaginer, sans constance pour exécuter », dont l'échec entraîne le retour de Necker, malgré les efforts de Sénac pour convaincre qu'il est le seul à…

Quant à Calonne, si son action allait dans le bon sens, elle fut trop timorée & ne pouvait aboutir sans un ferme soutien du roi. Un roi qui, aux yeux de Sénac, commit sa faute la plus grave en abandonnant à l'intrigue un Turgot qui, seul, avait trouvé la voie de l'indispensable réforme.

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Portraits peu flatteurs d'un personnel politique médiocre, inconstance du monarque engendrant l'instabilité ministérielle, manque d'audace dans les idées & de continuité dans l'action, Sénac n'est décidément pas de ces émigrés qui font de l'Ancien Régime un paradis perdu.

Mais sa réflexion ne s'arrête pas aux facteurs humains. Il analyse la crise financière : l'absence de contrôle des dépenses & l'insuffisance des recettes dégagées par un système fiscal obsolète dans ses principes (l'exemption des privilégiés) comme dans ses modes de perception, aboutissent à un endettement qui met l'État aux mains des banquiers. Il dissèque la crise morale que symbolise pour lui, comme pour tant de Français, l'affaire du collier de la reine, revient sur les effets délétères de la querelle des jansénistes, de la lutte entre le roi & les Parlements, d'une prolifération des textes législatifs traduisant surtout l'irrésolution du pouvoir. Il condamne sans appel la guerre d'Amérique qui « ne pouvait produire aucun avantage à la France » mais qui « renversa (…) les têtes & la fortune publique ».

Autant de signes qui, pour Sénac, trahissent l'épuisement du vieux système. Mais les abus, les guerres ruineuses, les ministres impopulaires, le déficit budgétaire ne sont pas des nouveautés dans l'histoire de la monarchie ; ils ont pu provoquer des révoltes, pas une révolution. Alors ?

Alors, répond-il, la clef est à chercher dans la rupture, sous Louis XV, du « contrat » (social dirait Rousseau) entre le roi & son peuple, de leur alliance séculaire contre la haute aristocratie. Ces Grands en qui Sénac voit les premiers révolutionnaires, parce que, depuis le règne du Bien-Aimé, ils sont parvenus à imposer la Cour, instrument inventé par les Valois & développé par Louis XIV pour domestiquer la noblesse, comme l'organe réel de pouvoir. Parce qu'ils ont alors transformé la monarchie, le meilleur des régimes pour Sénac, en despotisme insupportable au peuple.

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La monarchie, « ascenseur social » pour ses serviteurs, Sénac a conscience d'avoir été un des derniers à en profiter. Et ses accents, lorsqu'il condamne la réaction aristocratique qui conduit « à faire sa cour (plus) qu'à se distinguer par des services », à distribuer les commandements dans l'armée non plus selon les talents mais en fonction du nombre des quartiers de noblesse, ne sont pas sans rappeler ceux du Figaro de Beaumarchais.

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Repères

7 mai 1736

Naissance à Paris de Gabriel Sénac de Meilhan, fils du premier médecin de Louis XV

Après des études de droit, il entame une brillante carrière administrative bénéficiant de solides appuis à la cour (protection de Choiseul). Sénac de Meilhan fréquente les salons de la duchesse de Gramont & de Madame de Pompadour

1766

Sénac de Meilhan est nommé intendant de La Rochelle

1773

Intendant d'Aix

1775

Intendant de Valenciennes

1776

Intendant général à la guerre pendant quelques mois

1786-1787

Édition des Mémoires d'Anne de Gonzague, princesse Palatine : « Les plus soudaines révolutions ont presque toujours des causes éloignées, & lorqu'une légère circonstance amène un prompt renversement d'un État, c'est que tout était depuis longtemps préparé pour une révolution. »

Après la publication par Necker de son essai De l'administration des finances de la France, Sénac de Meilhan refute les thèses du banquier genevois dans les Considérations sur le luxe & les richesses. Polémique

Brigue la place de Contrôleur général des finances. Necker est préféré à Sénac de Meilhan

1788

Henri Grégoire publie son Essai sur la régénération physique, morale & politique des Juifs

1789

Janvier : première édition de Qu'est-ce que le Tiers état ? de l'abbé Sieyès

1790-1797

Sénac de Meilhan émigre. Publication Des principes & des causes de la Révolution en France

Séjours à Aix-la-Chapelle, Rome, Vienne, Varsovie, Saint-Pétersbourg, Prague...

Le Voyage autour de ma chambre de Xavier de Maistre est édité à Lausanne (1794)

Benjamin Constant rencontre Germaine de Staël (1794)

Publication de L'Émigré à Brunswick (1797)

1801

Retour à Paris. Fait régulariser sa situation « administrative »

15 août 1803

Décès à Vienne

 

Fiche technique

Nombre de signes

90 000

Folio

45 pages

Temps d'impression

9 minutes

Taille du fichier PDF

460 Ko

ISBN - Prix

2-84824-023-7
Gratuit


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