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Complet de drap vert, épingle d'émeraude sur cravate de soie vert pâle, canne à pommeau de jade : le duc de Fréneuse au « poignet de fin race » nourrit un amour immodéré des gemmes & de la couleur verte.
« Je suis l'Empire à la fin de la décadence », écrit Verlaine (Jadis & naguère) en 1883. Dans le sillage de Baudelaire, Mallarmé & Villiers de L'Isle-Adam, toute une génération littéraire va se réclamer de cette décadence contre la poésie du Parnasse & le naturalisme de Zola. Jean Moréas publie en 1886 le manifeste symboliste, mais c'est À Rebours de Huysmans qui, deux ans plus tôt, a posé le modèle du héros décadent : Des Esseintes.
C'est à ce courant-là qu'appartient le dandy superbe, Paul Alexandre Martin Duval, dit Jean Lorrain, journaliste mondain aussi cruel qu'outrageusement maquillé, fervent amateur des vapeurs d'éther & des beautés arsouilles qu'on croise au-delà des barrières - celles de son propre sexe, s'entend -, étoile du Paris de la Belle Époque chérie de ses gloires. Liane de Pougy, par exemple, future « princesse & sainte » pour reprendre le titre de la biographie de Jean Chalon, mais qui est alors la reine des courtisanes & l'auteur d'une Idylle saphique parue en 1901, l'année où sort Phocas dans lequel les dames s'embarquent volontiers pour Lesbos. Et puis Rachilde, « mademoiselle Baudelaire » comme l'a surnommée Barrès parce qu'elle a publié un scandaleux Monsieur Vénus (1884). C'est elle qui, véritable patron du Mercure de France dont elle a épousé le directeur, refusera Proust avec lequel Lorrain s'est battu en duel en 1897.
Car ce Paris mondain - même quand il ne l'est qu'à demi - compte bien des coteries & Lorrain n'y a pas que des amis. Ainsi le comte Robert de Montesquiou-Fezensac, ce parangon du dandysme, amateur d'hortensias, d'orientalisme & de statues indiennes est-il un ennemi déclaré de Lorrain qui lui empruntera plus d'un trait pour peindre son Fréneuse - comme l'ont fait ou le feront Huysmans pour Des Esseintes, Rostand pour le paon de Chantecler, Proust pour son Charlus. Mais qu'importe, puisque Lorrain est également admiré de critiques aussi peu enclins à manier l'encensoir qu'Edmond de Goncourt ou, plus tard, André Breton. Car il n'est pas qu'un chroniqueur redouté pour ses Pall-Malls Semaine, il est poète ; il est surtout romancier. Les Lepillier est publié en 1885, Très russe en 1886, Le Poison de la Riviera en 1893, Buveur d'âmes en 1894, Poussière de Paris en 1896, Monsieur de Bougrelon en 1897, La Maison Philibert en 1904, mais son chef-d'œuvre reste Monsieur de Phocas écrit en 1901, juste avant que Lorrain ne renie Paris, comme Des Esseintes, & ne s'installe à Nice. Le duc de Fréneuse lui aussi abandonne la capitale, ne laissant derrière lui qu'un journal intime où il a consigné « les premières impressions de (s)on mal, les inconscientes tentations d'un être aujourd'hui sombré dans l'occultisme & la névrose ». Le décadentisme s'essouffle ; Monsieur de Phocas en est le chant du cygne. Mais pourquoi donc Phocas ? pourquoi Fréneuse, dont la poignée de main évoque une « fuite de couleuvre », se dissimule-t-il sous cette fausse identité ? Phocas est le nom d'une grande famille byzantine ; Byzance qui, dans l'imaginaire de l'époque, sent si fort un Orient dont le duc a « rapporté avec lui tous les vices », qui dégage un parfum musqué d'intrigues, de débauche & de mort. « Rien n'abîme l'Européen comme l'Orient », & Fréneuse est déjà abîmé lorsqu'il entreprend la relation de sa descente aux enfers. Par son obsession des masques & son dégoût du vital - « la palpitation de la vie m'a toujours rempli d'une étrange rage de destruction » -, par son attirance pour le morbide - « l'anémie exténuée & jouisseuse ». Enfant, il prenait plaisir à étouffer des tourterelles ; homme, la « beauté d'échafaud » de certaines femmes lui rappelle les « exsangues & douces figures [de ces] jolies & longues aristocrates, que les Carrier & les Fouquier-Tinville envoyaient, encore toutes pantelantes de leur luxure, à la noyade ou à la guillotine », éveillant en lui des instincts meurtriers. Fréneuse est abîmé, mais il n'est pas encore perdu. Et sa rencontre avec Claudius Éthal, qui propose de soigner le mal par le mal, lui donne même l'espoir de se sauver. Sir Claudius est un peintre anglais réfugié à Paris à la suite d'un procès perdu, amateur de poupées & de masques de cire, admirateur de la peinture inquiétante de Gustave Moreau (comme Huysmans, Goncourt, Breton & Dali), familier des sortilèges & des poisons, que la rumeur suspecte d'avoir intoxiqué ses modèles par des vapeurs délétères afin de leur conférer cette pâleur qui distingue les phtisiques au seuil du trépas. On met Fréneuse en garde. Il persiste dans la fréquentation de ce dangereux thérapeute. S'agit-il d'un avatar satanique résolu à faire perdre au duc ses derniers repères dans le monde réel ? ou bien s'ingénie-t-on à discréditer Éthal aux yeux de Fréneuse pour empêcher sa guérison ? Il y a du lord Henry & du Dorian Gray dans ces deux-là (Wilde, lui aussi lecteur de Huysmans, a publié Le Portrait dix ans avant la sortie de Phocas).
Les cauchemars que déchaîne une opium party organisée par Éthal - la drogue & le rêve sont des motifs obligés pour la décadence - angoissent & égarent Fréneuse ; l'idée du meurtre l'assiège. Mais au cours de cette soirée, le duc a fait la connaissance de lord Welcôme, le seul personnage solaire du roman, qui lui propose de l'accompagner dans un voyage salvateur. Éthal s'avouera-t-il vaincu ? Welcôme est-il bien celui qu'il paraît ? ou n'est-il qu'un masque ? Fréneuse doit-il renoncer à se sauver de Paris & du sulfureux Claudius ? C'est parmi les iris noirs & sous l'œil d'Astarté, l'Aphrodite syro-phénicienne confondue avec la sanguinaire déesse indienne Kâali - statuette d'onyx noir aux yeux d'émeraude dont une tête de mort masque le sexe -, cadeaux offerts par Éthal, que le duc mûrit sa résolution ; c'est au milieu des tubéreuses & des grands lis blancs qu'il accomplit son destin.
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9 août 1855 Naissance de Paul Duval. Son père est armateur à Fécamp Août 1867 Naissance de Marcel Schwob Juillet 1871 Naissance de Marcel Proust 1874 Les Diaboliques, Barbey d'Aurevilly 1876 L'Apparition - Salomé devant Hérode, Gustave Moreau 1878-1883 Paul Duval entame des études de droit à « Rastaquouéropolis » (Paris) qu'il abondonne assez vite pour se consacrer à la littérature Fréquente cafés, rédactions (Chat Noir) & salons (C. Buet) ; prend le pseudonyme de Jean Lorrain. Décide d'embrasser la carrière littéraire Rencontre Barbey d'Aurevilly & Huysmans Premiers poèmes 1884 À Rebours de Huysmans « J'aime le nom de décadence tout mirotant de pourpre & d'or. » 1885 Jean Lorrain se lie d'amitié avec Edmond de Goncourt 1886 Anatole Baju fonde Le Décadent Jean Lorrain collabore à de nombreuses revues (Vie Moderne, Courrier Français, Écho de Paris). Publie Très russe où est sévèrement croqué Maupassant (Beaufrilan). Fait la connaissance de Sarah Bernhardt Rodin, Le Baiser 1889 Décès de Barbey d'Aurevilly 1891 Le Portrait de Dorian Gray, Oscar Wilde 1893 Jean Lorrain, éthéromane, subit sa première intervention : « L'éther c'est comme un vent frais du matin... un vent de mer qui vous souffle dans la poitrine... » 1894 Jean Lorrain rencontre Liane de Pougy 1895 Collabore au Journal, début des acerbes chroniques de Jean Lorrain sur la société parisienne (Pall-Malls Semaine) Munch, Le Cri 1896 Affaire Bob Walter Février 1897 Duel avec Marcel Proust. Jean Lorrain publie Monsieur de Bourgelon 1899 Le Jardin
des supplices, Dreyfus gracié 1900 Jean Lorrain s'installe à Nice
1901 Monsieur de Phocas 1902 Le Vice errant 1903 Procès Jacquemin & Grasset 1904 30 juin 1906 Retour à Paris. « Les salauds, ils ont fait de moi un journaliste. » Mort de Jean Lorrain à la suite d'une perforation de l'intestin « Je pense que toutes les modes d'après-guerre, les bals dangereux, l'opium, les éditions rares du Marquis de
Sade, l'inceste & les âmes marécageuses, les mauvais
garçons, les vieilles actrices, les va-et-vient entre les yachts
amarrés quai Cronstadt & les hôtels louches, tout cela, les livres de Lorrain l'ont été... avec trente ans d'avance. » « Tels de ses livres sont comparables
à ces femmes, d'un blond vif, qui ne peuvent lever les bras sans
répandre une odeur malsaine à la vertu... »
Nombre de signes 412 000 Folio 215 pages Temps d'impression 43 minutes Taille du fichier PDF 1,2 Mo ISBN - Prix 2-84824-020-2 |
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